Les quatre défis de la Francophonie du XXIème siècle

Mis en avant

Au moment où les cinq continents célèbrent la journée internationale de la Francophonie le 20 mars, alors que la Francophonie représente aujourd’hui près de 40% des membres de l’ONU et que la France préside le Conseil de sécurité des Nations-Unies, il convient de donner un nouveau souffle à ce moteur essentiel d’influence et de solidarité.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, la Francophonie est inscrite dans la Constitution française[1] mais tous les effets de cette disposition n’ont pas encore été pris en compte. A ce jour, le Conseil constitutionnel n’a d’ailleurs pas encore été saisi sur la base de cet article et, a fortiori, n’a pas esquissé d’interprétation de cette disposition.

Et pourtant, en ce 45 ème anniversaire de création de la Francophonie institutionnelle, force est de constater que la France a baissé son soutien à l’élan francophone. En 2010, toutes actions confondues, c’est près d’un milliard d’euros qui était consacré par la France au développement de la langue française et de la francophonie dans le monde. Nous n’aurons pas la cruauté de signifier le chiffre de 2015. Or la demande de français dans le monde n’a jamais été aussi importante et l’offre ne suit pas. 900 000 enseignants de français et 819 Alliances françaises sur les 5 continents ne peuvent répondre à la demande. Car n’en déplaise à certains snobs germanopratins archaïques, la langue française est aujourd’hui la 2ème langue apprise dans le monde après l’anglais, la langue française est à la mode, la langue française est populaire.

La réalité est la suivante : 135 millions de francophones en 1990, 274 millions en 2014…qui pourraient atteindre 767 millions en 2060[2]

Pour cela, il faut avoir le courage de dire les choses et d’agir. Il n’y a pas de fatalité. Les langues comme les Hommes sont mortelles. Le monde fut latin, il fut français, il est anglo-américain, il pourrait être demain mandarin. Il nous appartient collectivement de le rendre riche de sa pluralité, c’est le combat de la diversité culturelle et linguistique que porte la Francophonie et son Organisation internationale.

Le 1er défi est celui de l’instruction publique, à commencer par l’instruction de la langue française dans les écoles de la République[3]. Comment prétendre à l’universalité de notre langue si les enfants de France abandonnent la langue française ? Avec la circulation inégalée de l’information, tout se sait et chaque continent connait l’actualité des autres à la vitesse de l’éclair. C’est la raison pour laquelle la loi dite Fioraso sur l’enseignement en France de matières fondamentales en langue anglaise lançait un mauvais signal au monde. Pourquoi apprendre le Français sur les cinq continents si même la France portant le flambeau des valeurs universelles, abdiquait ! Au lieu de cela, la France s’honorerait en proposant des signaux forts et clairs à l’instar de politiques linguistiques offensives mises en œuvre notamment par nos frères québécois. Ce nouveau souffle pourrait notamment prendre la forme avec nos partenaires d’un programme Molière-Senghor, sorte d’ Erasmus francophone.

Le 2ème défi est celui de la francophonie populaire. Les Français sont convaincus[4] de l’importance de la langue française et de la francophonie. Rares sont les sujets qui aujourd’hui rassemblent autant de nos compatriotes !

Sur le territoire métropolitain, afin d’informer et de mobiliser nos compatriotes sur la francophonie, on a vu  émergé ces dernières années des maisons locales de la Francophonie avec succès à Lyon, à Marseille, à Auxerre et bientôt à Bordeaux.

Marine Le Pen ne s’y est pas trompé. Après avoir tenté de s’approprier la laïcité puis la Marianne de la République, la laissera-t-on faire de même avec la francophonie ? Notre réponse est claire : Non.

A titre symbolique, la France s’honorerait d’inscrire dans la crypte du Panthéon, le nom de Léopold Sedar Senghor, fondateur institutionnel de la Francophonie. Une mesure qui aurait du sens pour commémorer le 15ème anniversaire du décès de Senghor en décembre 2016. Et puis il est nécessaire d’aller plus loin en mobilisant nos décideurs métropolitains et ultramarins sur l’importance de la langue française comme vecteur d’influence de la France dans le monde et source d’emplois pour nos compatriotes.

Sur le modèle des Grenelles, il serait opportun d’organiser les 1ères assises de la Francophonie en France, une occasion unique d’aborder tous les sujets avec les acteurs français : élus, enseignants, dirigeants d’entreprises, salariés, syndicats, associations,… Et pour donner corps à cette appartenance francophone commune, on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion opérative sur une facilitation francophone de circulation pour les artistes, les entrepreneurs et les chercheurs issus de la francophonie du sud.

Le 3ème défi est celui de la francophonie économique. C’est le mandat confié par les chefs d’Etats et de gouvernements à la nouvelle Secrétaire générale,  Michaëlle Jean,  au dernier Sommet de la Francophonie. Nous l’encourageons dans cette voie que nous avions tracée il y a déjà deux ans[5].

Aujourd’hui, la langue française est la 3ème langue des affaires après l’anglais et le chinois. Elle représente 16% du PIB mondial même si dans le secteur du numérique, le retard est plus important. Si la jeunesse mondiale ne voit pas l’intérêt économique de la langue française, elle s’en détournera.

Nos grandes entreprises françaises devraient être exemplaires en l’espèce. La réalité est différente. Prenons deux exemples de deux fleurons parmi d’autres : Michelin met en œuvre une politique intelligente de développement de la langue française dans ses filiales du monde entier, mais Air France choisit de développer sa communication sur « Air France is in the air »…

20 ans après l’adoption de la loi dite Toubon[6], il est probablement nécessaire de la renforcer en s’appuyant notamment sur la proposition de loi adoptée à l’unanimité du Sénat mais jamais inscrite à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale.

Saluons à cet égard l’ heureuse action du CSA cette semaine avec la diffusion de messages « dites-le en français » dans les medias audiovisuels, comme la lettre d’humour et de conviction d’Annick Girardin publiée ce mercredi au monde du travail[7], mais pourquoi appeler  « Good France »  l’invitation au voyage culinaire initiée par Laurent Fabius et portée par 1300 chefs sur les 5 continents ?

Les révolutions arabes n’ont-elles pas porté le mot français « dégage » ? La planète entière,  solidaire de la France attaquée en janvier, n’a-t-elle pas clamé partout en français : « je suis Charlie » ? En matière culinaire, les mots de la langue française ne sont-ils pas exportés dans toutes les langues du monde ?

Cet enjeu économique est aussi celui de l’environnement mondial. La Francophonie sera bien présente à la conférence mondiale – COP21- qui se tiendra à Paris du 11 novembre au 4 décembre 2015.

Un nouvel élan de solidarité est ainsi nécessaire pour faire face à l’urgence écologique. Le dérèglement de notre planète nous oblige à agir. Ne pas réussir ce rendez-vous serait manquer à notre devoir de laisser aux  générations futures, une planète vivable, humainement autant qu’économiquement.

Bref, demain, 350 millions de jeunes africains devraient parler français. L’Afrique sera essentielle à  l’économie mondiale avec de forts taux de croissance. Le cœur de la Francophonie sera en Afrique.

Le 4ème défi est celui d’une francophonie puissance. Une triste réalité perdure au sein de la communauté francophone : celle de nombreuses régions, notamment d’Afrique francophone, qui demeurent le théâtre de conflictualités récurrentes ou nouvelles. Parmi ces nouvelles formes d’insécurités partagées, celle de la menace terroriste constitue, sans conteste, la plus inquiétante.

Cette menace est aujourd’hui une réalité globale à laquelle il faut opposer une réponse globale, solidaire et mutuelle. La mise en place d’instruments permanents régionaux de sécurité, de défense et de régulation des conflits ayant capacité à collecter les informations, d’élaborer des plans communs pour une défense commune et de canaliser les initiatives internationales doit, aussi, devenir un sujet de discussion et de mobilisation parmi les 80  Etats et gouvernements de la Francophonie.

S’il revient à chaque Etat de garantir la sécurité à ses propres populations, les insécurités actuelles étant devenues transnationales et volatiles, aucun pays n’est en mesure d’assurer désormais seule sa sécurité. La question sécuritaire doit donc être abordée à la fois aussi bien au niveau local que régional. De nombreuses initiatives menées récemment pour promouvoir l’engagement de fonctionnaires, militaires et d’experts francophones au sein de diverses missions internationales vient confirmer à quel point le partage et la compréhension de la langue des populations concernées permet d’instaurer un climat de confiance propice à la réalisation des objectifs que s’est donné la communauté internationale, notamment dans le cadre de la sécurisation et la stabilisation, de zones en conflits.

La Francophonie n’a certes ni les moyens ni la vocation d’intervenir « Urbi et Orbi ». Néanmoins, son approche globale devrait se fonder sur la complémentarité avec d’autres partenaires idoines, issus de la communauté internationale, en misant sur la nécessaire subsidiarité avec les autorités nationales, régionales et locales.

Dans ce monde en constante mutation, la Francophonie devrait être, plus que jamais, une absolue nécessité, non seulement urgente mais désormais devenue vitale.

Elle nait d’une triple exigence : celle d’affirmer davantage la diversité culturelle; celle de garantir un monde plus solidaire; celle visant à assurer la nécessité de combattre des menaces globales, devenues de plus en plus volatiles.

La France ne peut rater aucun de ces défis. Il en va des emplois des français comme du rayonnement de la langue française en France et dans le monde. Plus que jamais, la Francophonie est une chance pour la France et le monde. Comme le rappelle le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon, « le multilinguisme constitue le corollaire du multilatéralisme »

Tribune du 20 mars 2015 que j’ai signée avec Rama Yade, Hervé Morin, Thierry Cornillet, Emmanuel Dupuy, Benjamin Boutin, Xavier Quérat-Hément, Julien Valette… membres du Club UDI Francophonie



[1] L’article 87 de la Constitution dispose que «La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage.». Titre XIV : « DE LA FRANCOPHONIE ET DES ACCORDS D’ASSOCIATION »

[2] In «La langue française dans le monde», rapport de l’observatoire de la langue française, OIF, 2014.

[3] In «Plaidoyer pour une instruction publique», Rama Yade,  éd. Grasset, 2011.

[4] La langue française est un instrument de rayonnement tant pour la France (91%) que pour les entreprises françaises (66%). Sondage effectué en février 2010 par l’Institut Isama pour le Service d’Information du Gouvernement auprès d’un échantillon représentatif de 1006 personnes âgées de 18 ans et plus.

[5] In «Plaidoyer pour une francophonie économique», Thierry Cornillet, Le Figaro, 19 mars 2013.

[6] Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.

[7] Lettre d’Annick Girardin au monde du travail : « ne m’en veux pas si je suis un peu cash… ». Paris le 18 mars 2015 .